Libre opinion: Production multimédia, le Québec ne respecte pas ses créateurs
Roger Simard
Chef de la direction Conceptis Technologies Inc.
Édition du lundi 15 mars 2004
Cette année encore, on pouvait lire dans la presse écrite que les fabricants de jeux vidéo américains et français considéraient que le Québec présentait un charme irrésistible en raison du bassin de jeunes créateurs, de ses universités et de son grand nombre d'entreprises dans le domaine.
Ailleurs, on pouvait aussi lire qu'il y avait pourtant une ombre au tableau, car le nouveau gouvernement libéral pensait sabrer dans les généreux programmes de crédits d'impôt à la production de titres multimédias. En effet, depuis les débuts du programme, le Québec a versé des centaines de millions de dollars à un très grand nombre d'entreprises de ce secteur, et le ministre a répété à plusieurs reprises son intention de réduire les crédits d'impôt afin d'équilibrer les finances publiques.
Au début février, on apprenait que des représentants de l'industrie du multimédia avaient rencontré le ministre des Finances, Yves Séguin, avec une étude de la firme Secor sous le bras afin de défendre la pertinence des crédits d'impôt pour cette industrie. Nous verrons bientôt ce que le ministre décidera de faire avec ce dossier.
Il y a cependant un aspect important dans le processus de création qui semble avoir échappé aux représentants de cette industrie, et ce, depuis les premiers pas qu'elle a pu faire grâce à la générosité du gouvernement du Parti québécois et des deniers publics. Il s'agit de la reconnaissance du droit d'auteur des créateurs d'oeuvres originales.
En effet, l'industrie du multimédia ne peut jouir, d'une part, du bassin de tous les créateurs québécois, travailleurs autonomes et, d'autre part, leur retirer la possibilité de suivre la vie économique de leurs oeuvres.
Lors des discussions avec les représentants d'artistes, les différentes versions des regroupements de l'industrie ont insisté pour tenter de soustraire l'oeuvre multimédia du reste des productions culturelles tout en continuant à s'associer au secteur culturel pour maintenir une aide financière à ce domaine de production. Ces producteurs voulaient jouir d'avantages économiques comme industrie tout en se soustrayant au respect des lois les plus importantes pour le milieu culturel soit la Loi sur le droit d'auteur et les lois sur le statut de l'artiste.
Pourquoi pas comme la loi 101 ?
Cette situation place les créateurs québécois devant la nécessité de vendre leurs oeuvres sans aucun droit de suite et de possibilités de revenus supplémentaires si l'oeuvre est utilisée sur plusieurs supports ou vendue à des centaines de milliers d'exemplaires. Dans le milieu, cette technique, appelée le buy out, confère la paternité de l'oeuvre à l'acheteur ou au producteur, spoliant ainsi le créateur des avantages que le droit d'auteur génère.
De plus, l'absence de conventions collectives dans ce secteur de production en vertu des lois sur le statut de l'artiste précarise la situation des créateurs en empêchant par exemple que de l'argent puisse être versé à des régimes d'assurances, de fonds de retraite ou programmes de formation.
Il est à mon sens scandaleux que, d'un, côté on demande au Québec de continuer à verser de généreuses subventions à cette industrie et que, de l'autre, on refuse de reconnaître la Loi sur le droit d'auteur ainsi que les bénéfices provenant de la Loi sur le statut de l'artiste.
J'interpelle donc les ministres de la Culture, des Finances et du Développement régional, pour qu'ils prennent les mesures nécessaires afin de rendre obligatoire la reconnaissance du droit d'auteur à toute entreprise qui fait la demande de subvention gouvernementale. De la même façon qu'une entreprise qui ne se conforme pas aux dispositions de la loi 101 ne peut être admissible aux subventions, il devrait en être de même pour le droit d'auteur et les lois connexes.
Une société qui ne respecte pas le droit fondamental de ses créateurs est une société qui se meurt. Si les entrepreneurs ne peuvent ou ne veulent pas prendre leurs responsabilités, l'organisation qui les subventionne et distribue l'argent du public a le devoir de le faire. Sinon, il se pratique dans cette industrie comme dans nos forêts, une forme d'exploitation qui se rapproche de la coupe à blanc.
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